Christo - Works 1959-2020

Galerie Léo Arte, 17 quai Voltaire, Paris 7ème

September 9 – October 9, 2021

Le projet du Reichstag empaqueté débuta de manière poétique par une carte postale de Berlin adressée aux Christo par Michael Cullen, un historien américain vivant à Berlin. Alors que les Christo travaillent sur le projet du Valley Curtain dans le Colorado, Michael Cullen suggère l’idée d’empaqueter le Reichstag.

 

Séduits par la proposition, les Christo se lancent sans hésiter dans ce projet qui, comme bien d’autres, sollicitera leur patiente et leur persévérance. Débuté plus de vingt ans avant la chute du mur de Berlin, le projet est maintes fois soutenu puis désavoué par les grandes figures politiques allemandes de l’époque avant d’aboutir en 1995.

 

La chute du mur de Berlin quelques années auparavant a sans conteste facilité la réalisation du projet. Christo ne pensait jamais connaître cet évènement historique de son vivant et avait plusieurs fois fait référence dans son œuvre à ce symbole d’une Europe divisée qui à largement influencée son destin. Il a en effet fui la Bulgarie communiste pour rejoindre la France afin de pouvoir créer librement. C’est à Paris qu’il a pour la première fois évoqué le mur de Berlin dans une de ses premières œuvres monumentales intitulée « Le Rideau de Fer, rue Visconti ». On peut également rappeler que la première version de son projet « Running Fence » imaginée dans les années 1970 était une toile courant le long du mur de Berlin. « J’ai fait quelques dessins en 1970 et 1972 pour une barrière de tissu à Berlin Ouest qui cachait le mur » confiait Christo à un journaliste. Ce projet a finalement été réalisé en Californie.

 

Finalement, sous l’influence de l’idée de Michael Cullen, son projet est devenu le Reichstag empaqueté. Le destin a donc voulu que son projet berlinois ne concerne pas le mur, symbole de division, mais le Reichstag post chute, symbole d’union. L’esthétique de la création évoquait d’ailleurs une atmosphère d’apaisement. Pendant deux semaines, ces milliers de mètres carrés de tissu argenté enserrés dans leurs cordes créeront une somptueux flot de plis qui souligna les formes et les proportions de l’édifice. L’importance historique du tissu n’a guère besoin d’être expliquée : les plis, les drapés et les draperies ont joués un rôle important dans les représentations issues de la tradition judéo-chrétienne. Ils symbolisent la joie et le mystère. L’utilisation du tissu pour le Reichstag se rattache à une tradition classique, même si c’est de façon inhabituelle.   

 

Enfin, il est intéressant de remarquer que c’est la seule fois dans l’histoire que la réalisation d’une œuvre d’art a fait l’objet d’un vote parlementaire. L’œuvre sera cependant comme toujours entièrement financée par les Christo à partir de la vente d’études préparatoires et de dessins (telle que l’œuvre que nous présentons), de maquettes, de collages et de lithographies originales. Après 30 années d’attente, l’œuvre temporaire est inaugurée le 23 juin 1995 avant de disparaître le 8 juillet suivant.

 

Cette pièce, extrêmement caractéristique du travail de Christo, fait partie des œuvres à l’origine du geste de l’artiste : l’empaquetage. Sollicitée pour un prêt par le Centre Pompidou, le caractère exceptionnel de cette œuvre a été souligné lors de l’exposition « Christo et Jeanne-Claude : Paris ! », réalisée en 2020. Exposée dans la partie initiale de l’exposition consacrée aux débuts artistiques de Christo à Paris, cette pièce de 1961 peut faire figure d’allégorie de toute l’œuvre de Christo.

 

En effet, toutes ses obsessions y sont représentées : le geste de transfiguration par la dissimulation, le tissu, la corde, les lignes de forces, les matériaux pauvres, les prémices des empaquetages monumentaux.

 

Comme bien d’autres empaquetages de cette période, cette œuvre est constituée de matériaux banals : tissu brut, ficelle, cordeau, sangle et divers objets montés sur panneau. Chronologiquement, elle se situe juste après les expérimentations de Christo appelées « Surfaces d’empaquetage », qu’il réalise à la même période que les Cratères. Il s’agit des toutes premières évocations des futurs empaquetages mais, comme leur nom l’indique, elles ne sont pas encore en 3 dimensions. Il s’agit d’expériences réalisées avec du papier, parfois du tissu, auquel Christo donne un aspect accidenté par des froissages et des plis qu’il rigidifie avec de la laque, la peinture venant rehausser les reliefs. A leurs propos, Christo disait : « Mon travail avait beaucoup à voir avec cette dimension de tristesse (…) il y avait une espèce de misérabilisme ». En effet, l’artiste vivait alors dans la précarité et il pouvait légitimement s’inquiéter d’être renvoyé dans son pays à tout moment.

 

Suite à ces premières expérimentations viendront donc les premiers empaquetages. Ce geste sera effectué sur d’innombrables objets du quotidien : des chaises, une brouette, une motocyclette, une poussette… Dans ce cas les objets seront modifiés par leur dissimulation mais resteront cependant identifiables. Dans d’autres cas, il s’agira d’empaquetages évoquant ceux que l’on pouvait trouver à l’époque sur les quais des gares ou sur les porte-bagages des voitures. Ici rien est identifiable quant à leur contenu et le tissu brut et opaque scellé par la corde ne laisse aucune chance de lever mystère.

 

L’œuvre que nous présentons ici fait partie de ces empaquetages non identifiables qui évoquent un bagage toujours prêt en cas de nécessité. La commissaire de l’exposition Christo et Jeanne-Claude Paris ! Sophie Duplaix analyse que ce geste d’empaquetage porte en lui cette notion de nomadisme qui va sous-tendre tous les projets ultérieurs de Christo : « Posséder peu, c’est se donner la faculté de se mouvoir, de se déplacer sans contraintes. C’est ainsi sous le signe de ce caractère nomade, connoté positivement, que se développeront les travaux en collaboration avec Jeanne-Claude à l’échelle urbaine et dans la nature, aussi bien de par leur dimension d’œuvre « temporaire » que par l’utilisation du tissu, qui, comme chez les tribus et les gens du voyage, se déplie et se replie avec aisance, gage de mobilité et de liberté ». On peut aussi y lire une histoire personnelle avec ces déplacements forcés et douloureux puisque le jeune homme avait été contraint de laisser derrière lui son pays, sa maison, ses proches dès son départ pour Prague en 1956, suivi de sa fuite clandestine à Vienne, son passage par Genève et enfin, son arrivée à Paris.

 

Christo disait « J’ai commencé à empaqueter en 1958 (…). Je ne peux pas expliquer pourquoi j’empaquetais. ». Au-delà de cette idée évidente du baluchon, beaucoup ont spéculés sur le sens de ces paquets et sur cette pratique de l’artiste. Quand certains la qualifiait de « réalisme sociologique » (Otto Hahn) d’autres y voyaient la création d’objets « métaphysiquement en transit, tenus entre le littéral et le métaphorique » (David Bourdon).

Peu après son arrivée à Paris, où Christo gagne sa vie en peignant des portraits de femmes du monde, Christo commence à s’intéresser à la question de la surface, dans l’idée de dépasser la peinture de chevalet. Il commence par froisser de vieilles enveloppes, tout en les renforçant de colle et de résine, avant d’ajouter d’autres couches de papier, de ficelle, de toile ou de journaux. Lui vient alors l’idée de ses premiers objets empaquetés. Il enveloppe des boîtes et des bouteilles de tissu froissé, qu’il rigidifie à l’aide de laque qu’il vaporise puis qu’il entoure de ficelle. Un jour, il prend un pot de peinture et l’empaquette dans une toile gorgée de résine et l’attache avec de la ficelle. C’est son premier objet empaqueté, qui inaugure une longue série, à l’esprit toujours renouvelé.

 

Beaucoup ont cherché une signification à ce geste répétitif de l’empaquetage d’objets. Voyant une critique de la société de consommation, Pierre Restany tente d’assimiler Christo aux Nouveaux Réalistes. D’autre, comme le critique Otto Hahn voient la « beauté tragique » de ces objets réduits à leur mystère, leur « expressionnisme tendu ». Enfin, nombreux sont ceux qui voient un aspect plus politique dans ce geste, celui qui fait référence à la fuite, à l’exile contraint et forcé, celui vécu par l’artiste lorsqu’il doit quitter sa maison, sa famille et son pays du jour au lendemain, en 1956. On peut en effet interpréter ce geste dans le sens du départ, du déplacement, empaqueter pour transporter, pour partir, pour fuir rapidement et facilement. Mais lorsque Christo est interrogé sur cette pratique, il répond : « Je ne peux pas expliquer pourquoi j’empaquetais ».

 

Dans sa biographie de Christo publiée en 1970, David Bourdon qualifie la pratique d’empaquetage de l’artiste de « révélation par dissimulation ». Ce recouvrement d’objets ordinaires pouvait prendre plusieurs formes, ils pouvaient être enveloppés de matériaux semi-transparents (comme c’est le cas ici), d’une toile opaque ou des deux à la fois. Les objets pouvaient n’être que partiellement dissimulés ou entièrement enveloppés pour n’être ni visibles ni reconnaissables.

 

Dans les années 1960, Christo découvre le polyéthylène semi-transparent, qu’il va utiliser comme matériau pour ses œuvres ainsi que pour ses actions d’empaquetage sur des modèles vivants. L’utilisation de ce matériau donne un nouvel aspect aux objets empaquetés, la transparence créant une ambivalence entre révélation et dissimulation : dans l’œuvre présentée ici, on distingue dans les plis et le froissage du plastique, la chevelure blonde et les lèvres rouges de Brigitte Bardot.

 

Comme c’est le cas ici, ces objets dissimulés sous le tissu, tendus et enserrés par des ficelles, ont un caractère presque érotique. Un sentiment d’étonnement se dégage de ces empaquetages, ils suscitent le mystère, la curiosité, on a envie de les toucher, d’aller voir ce qui se cache en dessous. Mais en refusant de dévoiler le contenu des objets comme momifiés, Christo cultive le doute.

 

L’œuvre présentée ici est une parfaite illustration de ces objets à l’esthétique saisissante qui a rapidement séduit de nombreux collectionneurs, fascinés par l’originalité du procédé et désireux de participer, par l’achat de ces œuvres, à la réalisation des projets à grande échelle imaginés par Christo, de plus en plus lourds et couteux.

 

Si le seul nom de « Christo » est plus communément cité pour évoquer le travail de l’artiste, l’on devrait plutôt parler, pour respecter son souhait, de « Christo et Jeanne-Claude ». Le couple a en effet décidé, en 1994, de signer leurs œuvres de leurs deux noms, pour « dire les choses telles qu’elles sont » comme le disait Jeanne-Claude.

 

Le couple était en effet devenu inséparable, tant sur le plan privé que sur celui de la création artistique, depuis leur rencontre à Paris à la fin des années 1950. Tout semblait pourtant opposé cette fille de comtesse et ce « réfugié sans le sous » mais ils restèrent fusionnels jusqu’à la mort de Jeanne-Claude en 2009.

 

En 1998, Christo décrivait parfaitement leur manière collaborer : « lorsqu'il s'agit des projets, nous nous conseillons, nous échangeons nos points de vue sur tous les aspects. Et puisque nous sommes deux, cela ne se fait pas toujours dans l'harmonie. Il y a toujours un côté critique. Si vous avez vu les films sur nos projets, vous constaterez que nous nous disputons très souvent. Il y a toujours des arguments et des contre-arguments. Mais tout ça est aussi très créatif et très stimulant. Jamais, il n'est question dans le genre de travail qu'exige nos projets de l'artiste isolé qui décide tout, tout le temps ».

 

Mais au-delà de cette collaboration professionnelle, leur relation était avant tout une véritable histoire d’amour, ponctuée d’anecdotes romantiques depuis leur rencontre à Paris. Fait du hasard mais ajoutant du sel à l’histoire de ce duo mythique, Christo et Jeanne-Claude étaient nés le même jour, un 13 juin 1935.

 

Lors de leur 50ème anniversaire commun, ils décidèrent ainsi de célébrer l’évènement en créant une œuvre d’art. Ils empaquetèrent l’édition du New York Times en date de leur anniversaire et en firent une édition réalisée par l’éditeur New yorkais Hugh Levin. Le journal était empaqueté de polyéthylène transparent lié par de la ficelle.

 

Lors de la première exposition de la pièce que nous présentons ici, son éditeur, Hugh Levin, a contacté notre galerie afin de nous raconter l’anecdote qui allait de pair avec cette œuvre et qui n’était jusqu’alors partagée que par Christo et lui-même. Lorsque Christo lui confia la réalisation de l’édition limitée de cet empaquetage, il n’avait pas remarqué un détail qui pourtant sauta aux yeux de l’éditeur. Peu était visible au travers de l’emballage sauf le titre de la une du jour qui titrait sur un « paquet de plusieurs millions de dollars ». Ils s’amusèrent de cette incroyable coïncidence qui se révèlera presque vrai aujourd’hui.

 

 

 

 

Cette œuvre, qui date de 1959, est une pièce rare qui fait partie d’une série qui n’a pratiquement jamais été montrée jusqu’à la dernière exposition consacrée à Christo et Jeanne-Claude au Centre Pompidou à l’été 2020. Y figurait cette série des « Cratères », tableaux à l’aspect topographique que Christo a réalisé à la suite de la découverte du travail de Dubuffet à la galerie Daniel Cordier peu après son arrivée à Paris.

 

En effet, lorsque Christo s’installe à Paris à l’âge de 23 ans après avoir fui la Bulgarie communiste, il fréquente assidument les galeries parisiennes ainsi que les musées afin de s’imprégner des recherches picturales de l’époque.

 

Ainsi, dans un Paris artistique en prise aux querelles de l’abstraction, Christo apporte par sa peinture des réponses très personnelles, dont cet hommage à Jean Dubuffet à travers ces œuvres matiéristes, quasi tri-dimensionnelles, que sont les Cratères. Ces pièces ont été réalisées, comme ce sera le cas pour bien d’autres par la suite, à partir de matériaux pauvres de récupération. Le cratère est matérialisé par une simple boîte de peinture de laquelle jaillie une coulée de lave et une évocation de fumée réalisés à partir d’un mélange de peinture émaillée, de peinture à la colle et de sable.

 

C’est donc, selon Christo, surtout le travail matiériste de Jean Dubuffet qui impulse cette série méconnue des Cratères. Mais on peut aussi voir des parentés avec Fontana, qui fut la seconde personne à lui acheter une œuvre en 1958, ou encore avec Alberto Burri. On sait également que Christo fréquentait régulièrement le musée national d’Art Moderne où il découvre à la même époque le travail de Jackson Pollock.

 

 

L’idée d’empaqueter des arbres a germée très tôt dans l’esprit de Christo. Il commence à imaginer divers projets dès 1964 et, entre cette période et l’année 1998, 14 projets furent proposés dans plusieurs pays. Certains furent réalisés mais beaucoup furent refusés, comme celui des Champs Elysées.

 

Jeanne-Claude raconte : « En 1966, nous avions proposés d’empaqueter les arbres situés dans le parc du Musée d’art de Saint Louis. Il a été refusé. Un projet d’empaqueter des arbres dans le jardin du MOMA à New York fut également refusé. Enfin en 1969, nous avons demandé l’autorisation à la ville de Paris d’empaqueter 330 arbres de la célèbre avenue des Champs Elysées. Ce projet fut également refusé par nul autre que Maurice Papon que tout le monde connaît maintenant. ». A ce projet certainement trop subversif pour l’époque fut préféré de bien plus traditionnelles guirlandes de Noël pour ornées les fameux arbres..

 

Il ne reste donc de ce projet élyséen que les dessins préparatoires, tel celui que nous présentons ici. Ces derniers révèlent toute la subtilité du projet et l’on peut remarquer que des cordes non seulement fixeraient les enveloppes autour individuelles des arbres, mais lieraient également des rangées entières d'arbres enveloppés, créant une série ordonnée d'objets volumineux et complexes dans l'espace. Par ailleurs, grâce à l’inclinaison du terrain, les deux rangées d'arbres enveloppés dessinerait une perspective physique vers l'Arc de Triomphe.

 

Fort heureusement, si ce projet n’a jamais pu voir le jour à une période où l’art de Christo semblait trop subversif pour rejoindre l’espace public, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ce rêve fort ancien d’investir cet espace emblématique se concrétisera finalement avec ce dernier majestueux projet d’empaquetage de l’Arc de Triomphe, projet malheureusement posthume.

Dans un court texte intitulé « Petite leçon de grand art », Ernst Beyeler écrit : « La position de Christo et Jeanne-Claude, à mi-chemin entre création esthétique et artisanat, a quelque chose d’insécurisant pour beaucoup, comme s’il fallait s’en méfier parce qu’elle ne relève pas tout simplement du grand art. Or, depuis les temps les plus reculés, l’artisanat a toujours été la base même de l’art. Il faut savoir avant tout si, au-delà de l’artisanat ou des arts appliqués, une dimension autre est atteinte qui contiendrait un message ou une vision exprimant des valeurs immatérielles. »

 

C’est donc à nouveau à la manière des artisans ou des architectes que Christo et Jeanne-Claude ont réalisé ce projet d’empaqueter, entre le 13 novembre et le 14 décembre 1998, les 178 arbres du musée bâlois d'une toile légère, arachnéenne, semblable à de la gaze argentée. Pour envelopper ces arbres, le couple a utilisé 55 000 m² de tissu polyester brillant gris argenté et un patron avait dû être réalisé pour chaque arbre, les arbres variant en hauteur de 2 à 25 mètres et en largeur de 1 à près de 15 mètres. A la manière du travail d’atelier, le couple a sollicité experts et bénévoles pour réaliser, avec le plus d’adresse et le moins d’impacts possible, cette intervention artistique sur un environnement naturel.

 

L'artiste avait ainsi revêtu les nombreuses essences d'un matériau hyperléger et résistant, tout en transparences, le même matériau qu'utilisent les Japonais pour préserver leurs vergers des rigueurs de l'hiver. L’esthétique finale du projet pouvait d’ailleurs sembler japonisante pour certains et évoquer une première neige qui se serait posée sur les arbres de la Fondation Beyeler, dessinant des silhouettes rebondies ou filiformes, cocasses ou surréalistes. Des nuages argentés, légers comme de la gaze, ou peut-être de gros tampons de ouate, traversés par les derniers scintillements du soleil de novembre.

 

L’idée d’empaqueter des arbres avait germée très tôt dans l’esprit de Christo. Il commence à imaginer divers projets dès 1964 et, entre cette période et l’année 1998, 14 projets furent proposés dans plusieurs pays. Certains furent réalisés mais beaucoup furent refusés, comme celui des Champs Elysées.

 

Cette réalisation à grande échelle de l’idée d’empaqueter des arbres a donc été une immense victoire artistique pour le couple. De surcroit, l’effet visuel de la toile transparente était saisissant, léger, aérien, comme si les branches des arbres dépourvues de feuilles étaient des bronches et que la toile se gonflait sous la respiration de l’arbre. On peut d’ailleurs noter qu’outre les arbres, Christo a quelquefois emballé d’autres êtres vivants, des femmes exclusivement (Wrapped Women).

 

 

Répondant à des journalistes à propos du projet qui était en train de se monter à Central Park, Jeanne-Claude et Christo confiaient : « La presse nous appelle les empaqueteurs, mais ce n'est pas exact. Nous sommes en réalité des artistes dont la spécialité est l'usage de la toile. C'est là le dénominateur commun à tous nos projets (...) et cela traduit l'esprit nomade de notre travail. Comme lorsque les tribus nomades arrivent dans une plaine, installent leurs tentes et repartent quelques semaines plus tard.»

 

Et dès le premier jour, face aux bannières dorées, les nombreux New-Yorkais qui étaient venus très tôt disaient déjà regretter le caractère éphémère de l’œuvre. The Gates n’a en effet été présenté que durant seize jours, du 12 au 28 février 2005, comme toutes les œuvres précédentes des artistes. Il s’agissait d’un parcours de 37 kilomètres suivant des sentiers préexistants au-dessus desquels avaient été élevés 7 500 portiques, hauts d'environ 5 mètres, placés à 4 mètres d'intervalle et tendus d'un rideau de tissu de couleur orange-safran. Vu des immeubles alentour, l’installation ressemblait à une rivière d’or disparaissant à travers les arbres.

 

Lorsqu’ils avaient réfléchi à un projet dédié à leur ville d’adoption depuis 1964, les artistes s’étaient écartés de l’idée de l’empaquetage d’un bâtiment mythique pour choisir une œuvre impliquant une déambulation. Ils s’étaient en effet rendu compte, au gré de leurs voyages hors de la ville, que ce qui restait de New York dans leurs esprits n'était pas forcément les gratte-ciels, mais les gens qui marchaient dans la ville, la foule. Pour Christo les visiteurs du parc pouvaient voir l’installation comme « une sorte de chemin lumineux. Lorsque le soleil brille derrière les toiles, elles sont d’un jaune doré. Les parties à l’ombre deviennent presque rouges ».

 

On peut remarquer que ce projet était à la croisée des lieux déjà investis par les Christo, entre l’urbain et l’environnement naturel. En effet, si Central Park apparaît comme une immense oasis naturelle, il s’agit en réalité d’un lieu entièrement conçu par des architectes-paysagistes du XIXème siècle et qui devait incarner l’image pastorale idéale de l’époque victorienne. L’objectif était donc d’intégrer ce projet moderne, inspiré de l’esthétique japonaise des portes « torri », au sein d’un espace semi-naturel architecturé de manière très classique. C’est l’une des principales raisons pour lesquelles, comme pour bien d’autres projets, Christo et Jeanne-Clause se sont vus opposés des refus successifs de la municipalité pendant 26 années.

 

Ils eurent en effet l’idée du projet en 1979 mais sa réalisation ne fut autorisée qu’en 2003, très certainement du fait de leur renommée grandissante et de l’élection de Michael Bloomberg à la mairie de New York, un de leurs fervent admirateur. Comme d’habitude, The Gates n’a pas couté un sou à la ville. Afin de réunir les 20 millions de dollars nécessaires à la réalisation des Gates, les Christo ont vendu des œuvres pour un total de 15 millions de dollars.

 

The Gates est le dernier projet commun du couple puisque Jeanne-Claude décèdera en 2009. C’est aussi le plus important projet de public art jamais entrepris à New York jusqu’alors.

 

 

 

 

La critique d’art britannique Marina Vaizey fait pertinemment remarquer à propos de Christo que « sa méthode est inséparable de son art (…) Ses œuvres et lui se trouvent aussi à l’aise au centre des villes que dans les lieux les plus reculés. Il a réalisé des projets gigantesques qui n’ont existé que pendant quelques jours ou quelques semaines avant de disparaître à jamais. Les médias et les souvenirs de centaines de personnes impliqués dans le processus de leur réalisation en restent la seule trace ».

 

L’art de Christo a en effet toujours fait forte impression au sein des villes, notamment des villes d’art et de culture, où leurs fameux empaquetages de bâtiments historiques suscitèrent à la fois rejet et fascination. C’est le cas de l’empaquetage du Reichstag par exemple, dont nous présentons un dessin préparatoire.

 

Mais les grands espaces naturels, tels que ceux de la campagne et de la côte de la Californie du Nord, les fascinaient tout autant que les bâtiments chargés d’histoire. Leur geste d’habillage des éléments naturels en révèle la puissance et la majesté et les éclaire sous un jour tout à fait différent.

 

Le projet du « Running Fence », que l’on pourrait qualifier de « land art », réalisé en 1976 dans le comté de Sonoma en Californie fut très apprécié du public. Ce mur mouvant fait de 200 000 m2 de tissu nylon blanc, haut de 5,5 m, long de 39,5 km qui traversa 59 propriétés proches de l’autoroute 101 au nord de San Francisco avant de plonger dans l’Océan Pacifique à Bodega Bay était en effet tout aussi spectaculaire que poétique.

 

Comme souvent une bonne part du succès des Christo vint de leur capacité charismatique à mobiliser les gens, à leur inculquer un esprit d’équipe et un sens du travail en commun lorsque ces derniers choisissez de participer bénévolement à leurs aventures artistiques. A cet égard, l’orchestration de leurs projets a pu être comparée par certains critiques à une entreprise théâtrale ou musicale. Marina Vaizey nous rappelle quant à elle que cette approche coopérative renoue avec certaines traditions artistiques anciennes où existait la notion d’atelier, d’apprentis, d’assistants et de spécialistes travaillant ensemble sous une même direction artistique.

 

Ce projet du « Running Fence » est aussi emblématique de la philosophie des Christo qui ont toujours rejeté la dimension élitiste du monde de l’art. La vocation de leurs projets était d’exporté l’art hors les murs des musées et parfois même hors les villes, afin qu’il deviennent pleinement universel, capable de toucher tous types de publics. 

 

Pour le projet du « Running Fence », l’impact sur le public fût accru par une étrange coïncidence. La beauté de cette barrière de tissu blanc serpentant dans le paysage n’était pas sans rappeler la Grande muraille de Chine, et cette similitude fut comme par hasard soulignée par la mort de Mao Tsé-Tung, le jour même où le « Running Fence » fût réalisé. Terminé le 10 septembre 1976 et démonté 14 jours plus tard, cette création ne laissa aucune trace autre que dans les esprits de ceux qui eurent le bonheur de le voir.

 

Dans les œuvres monumentales des Christo, la couleur occupe toujours une place fondamentale. Elle doit être en harmonie avec l’environnement choisi et exprimer la singularité de ce dernier.

 

Ainsi, les Christo écrivent que « les parasols étaient des modules indépendants et dynamiques qui reflétaient la disponibilité du terrain dans chaque vallée, créant un espace intérieur accueillant, un peu comme des maisons sans murs ou des campements temporaires (…) Dans l’espace rare et précieux au Japon, les parasols furent positionnés proches les uns des autres et parfois suivant la géométrie des rizières. Dans cette luxuriante végétation où l’eau abonde tout au long de l’année, les parasols étaient bleus. Dans les vastes étendues californiennes de terres non cultivées, la configuration des parasols était libre et s’étalait dans toutes les directions. Les collines brunes et sèches de Californie étaient couvertes d’une herbe blonde et les parasols étaient jaunes ». 

 

The Umbrellas est sans doute l’œuvre la plus ambitieuse des Christo en termes de mise en œuvre et de budget. Une dizaine d’entreprises, au Japon, aux États-Unis, en Allemagne, et au Canada, ont confectionné les matériaux (tissu, structures, supports..) destinés la fabrication des parasols. 3100 parasols ont ainsi été assemblés en Californie, dont 1340 ont été acheminés par bateau au Japon. Chaque parasol mesurait 6 mètres de haut, pour 8,60 mètres de diamètre. Presque deux ans de travail ont été nécessaires, sans compter l’obtention des autorisations habituelles auprès de dizaines d’autorités locales et gouvernementales, pour un budget de total 26 millions de dollars.

 

Le projet a été, comme toujours, entièrement financé par la vente des dessins et des collages de Christo. Ce mode de financement a toujours été pour les Christo une règle, ceux-ci refusant systématiquement toutes subventions publiques et/ou privées dans un soucis d’indépendance.  

 

Ainsi, un matin d’octobre 1991, 3100 parasols ont commencé à s’ouvrir, simultanément, à Ibaki, au Japon, et dans la région de Los Angeles, en Californie. Au Japon, les parasols s’égrainaient dans une vallée d’une vingtaine de kilomètres, au Nord de Tokyo. En Californie, ils s’étalaient dans une vallée d’une trentaine de kilomètres, à une centaine de kilomètres au Nord de Los Angeles. Ces parasols pouvaient évoquer des tentes de nomades, une façon de suggérer le caractère éphémère de l’œuvre.

 

Ce grand projet rappelait aussi que l’art de Christo ne se réduisait pas aux empaquetages auxquels il est si souvent associé. A la suite des projets Runnin fence et Surrounded islands, The Umbrellas continuait l’exploration du déploiement de la toile au travers d’espaces naturels grandioses. « La presse nous appelle les empaqueteurs, mais ce n'est pas exact. Nous sommes en réalité des artistes dont la spécialité est l'usage de la toile. C'est là le dénominateur commun à tous nos projets (...) et cela traduit l'esprit nomade de notre travail. Comme lorsque les tribus nomades arrivent dans une plaine, installent leurs tentes et repartent quelques semaines plus tard » disaient Jeanne-Claude et Christo. Pendant seulement 18 jours donc, le public a profité de cette composition inattendue et joyeuse, intégrée dans un environnement à peine dérangé.

 

Preuve de la pérennité de l’empreinte significative de ce projet grandiose dans l’histoire de l’art contemporain, un dessin préparatoire en deux parties, similaire à celui que nous présentons, a battu très récemment le record de prix pour une œuvre des Christo et s’est vendue pour 1,7 million d’euros.

Les Surrounded Islands de la baie de Biscayne à Miami, en Floride sont certainement l’une des œuvres monumentales les plus impressionnantes conçues et réalisées par les Christo. Catégorisée dans le Land Art, cette œuvre a marqué les esprits notamment par le choix de sa couleur, d’un rose vif et acidulé. Pour l’historien de l’art Werner Spies, ce choix est tout à fait réfléchi : « Avec ses évocations de crème glacée, le rose frappe l’étranger qui arrive à Miami comme la couleur symbolique de la région. Cette couleur de l’artifice et de l’euphorie était le choix qui s’imposait naturellement dans cette partie de notre pays et permettait une intrusion en douceur dans la vie de la métropole ».

 

Les prémices de ce projet, longs et fastidieux, ne présageaient pas de manière évidente la délicatesse et la poésie qui émaneraient en définitive de cette œuvre d’une étonnante beauté, en symbiose parfaite avec son environnement naturel. En effet, ces îles étaient majoritairement ignorées par la population de la baie, notamment car elles servaient essentiellement de décharges à ciel ouvert. Animés comme souvent par les défis, Christo et Jeanne-Claude se sont lancés de toutes leurs forces dans ce projet de transformation radicale bien que tout à fait éphémère. Il ne dura que 15 jours.  

 

Les préparatifs, eux, furent longs et demandèrent comme toujours de multiples dessins, collages et photographies ainsi que la mise au point d’un dossier de présentation et la tenue de nombreuses réunions avec les autorités locales, gouvernementales et même l’armée américaine pour obtenir les autorisations.

 

Fait remarquable, la médiatisation des impressionnantes opérations de préparation a permis de mettre en lumière une préoccupation majeure et avant-gardiste du couple : la préservation de l’environnement. En collaboration avec des ingénieurs, un spécialiste de la biologie marine, ornithologue et un expert en mammifères autochtone, Christo conçu un projet qui ne devait avoir aucun impact environnemental sur la faune et la flore et qui, une fois démantelé, devait pouvoir être revalorisé. Surtout, la création de cette œuvre a permis de réunir des centaines de bénévoles qui nettoyèrent les 11 îles et leurs entours de 40 tonnes de déchets.

 

En 1983, les 11 îles furent ainsi entourées de 60 hectares de tissu de polypropylène rose qui avait été découpé selon 79 patrons pour suivre parfaitement les contours des îles. Ce travail a été exécuté dans une usine louée pour l’occasion pendant un an. Ce projet monumental suscita la curiosité quant à son financement qui, comme toujours, était entièrement supporté par Christo et Jeanne-Claude. La vente des dessins et travaux préparatoires réalisés par Christo permirent, notamment grâce à cette attention des médias, de réunir les millions nécessaires à la réalisation de l’œuvre. Et cet argent se retrouva d’une certaine façon dans les caisses des collectivités locales qui bénéficièrent de la publicité et de revenus directs.

 

En effet, cette œuvre qui a fait la une des journaux dans de nombreux pays, eut un fort impact dans le monde de l’art mais aussi chez les touristes qui se pressèrent à Miami pour voir les îles roses. Et c’était bien le but de Christo avec ses œuvres éphémères in-situ : elles étaient faites pour être vues par le plus grand nombre de personnes et parlent de liberté. Non transportables, non commercialisables, ces œuvres ont en effet pour but de démocratiser l’accès à l’art en le plaçant hors de musées.

 

Ainsi, que ce fut sur place ou à distance via des images télévisées, un immense nombre de personnes purent être touchées par cette évocation monumentale et poétique des Nymphéas de Monet, rendue moderne par ce rose éclatant évoquant les flamants, les couchers de soleil et les hôtels Art déco si caractéristiques de la région.

 

 

Press Release

FRANÇAIS

Christo (1935-2020) a toujours décliné sa vision artistique au travers de prodigieux projets - empaquetages de lieux ou d’édifices monumentaux, qui lui ont acquis une place majeure dans l’art contemporain.

Avec Jeanne-Claude, avec qui il a collaboré pendant 51 ans, Christo se saisit du réel pour le transformer et donner à chacun la possibilité de vivre directement des expériences artistiques intenses. Dans un respect total de l’environnement, qui revient toujours à son état originel une fois le projet terminé, ses œuvres toujours temporaires et de brèves durées, sont chacune « un cri de liberté », comme l’a résumé Jeanne-Claude. Il s’agit de cacher pour mieux découvrir ou redécouvrir dans une innocence retrouvée.

Ces projets font toujours l’objet de dessins, à la fois recherches préparatoires et œuvres d’art en soi, auxquelles les installations monumentales sont indissociablement liées : Christo finance lui-même ces installations monumentales grâce à la vente de ces dessins qui immortalisent l’éphémère et qui permettent de renouveler ces somptueux cris de liberté.

L’ensemble d’œuvres présenté par François Sage, qui a été associé aux projets de Christo depuis 1978, va des premiers volcans et empaquetages de 1963 à l’empaquetage de l’Arc de Triomphe en 2020 en passant par le Running Fence de Californie de 1976, aux Umbrellas de Californie de 1991, aux Surrounded Islands de Miami de 1983 du Reichstage de 1995, aux arbres empaquetés de la Fondation Beyeler de 1997. 

Christo - Works 1963-2020

16 janvier - 21 juin 2020

SAGE PARIS, 1bis, avenue de Lowendal, 75007, Paris

DU MARDI AU VENDREDI DE 13H A 18H, LE SAMEDI DE 14H A 18H

La galerie n'étant pas visible depuis la rue, veuillez nous téléphoner au 01 47 05 05 20 pour avoir les codes d'accès.

WWW.SAGEPARIS.COM

 

ENGLISH

Christo (1935-), who was associated against his will by art critic Pierre Restany to the Neo-Realists, declines his artistic vision in the making of tremendous projects – wrappings of places and monumental edifices, which made him a central figure of contemporary art.

During a 51 years long duo with Jeanne-Claude, Christo used and reshaped natural and artificial environment with the purpose that everyone gets a chance to experience intense artistic moments/encounters. In a profound respect for the environment, which always went back to its original state once the project over, each Christo’s ephemeral work is described by Jeanne-Claude as “a scream of freedom”. The point is to hide the object in order to discover or rediscover it in an innocence regained.    

These projects are always preceded by many sketches and drawings, both preparatory researches and works of art in themselves. They are inseparable from the monumental installations: indeed, Christo finances all he’s gigantic projects with the sell of these drawings that capture the evanescence and allows to create new screams of freedom.

All the works presented by François Sage, who was associated to Christo’s project since 1978, go from the first wrappings of 1963 to the wrapping of the Arc de Triomphe in 2020 and goes along Running Fence in California in 1976, the Umbrellas in California in 1991, the Surrounded Ilslands of Miami in 1983, the wrapping of the Reichtage in 1995 and the wrapping trees  at the Beyeler foundation in 1997.  

Christo - Works 1963-2020

January 16th - June 21st 2021

SAGE PARIS, 1bis, avenue de Lowendal, 75007, Paris

TUESDAYS TO FRIDAYS FROM 1PM TO 6PM, SATERDAYS FROM 2PM TO 6PM

As the gallery is not visible from the street, please contact us at 01 47 05 05 20 to get access codes. 

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